mercredi 15 novembre 2017

Sans un cri - Siobhan Dowd



Sans un cri, Siobhan Dowd

Editeur : Gallimard
Collection : Scripto
Nombre de pages : 358

Résumé : Dans le petit village irlandais de Coolbar, Shell tente d'être une lycéenne comme les autres. Mais élever Trix et Jimmy, ses petits frères et soeurs, tout en les protégeant d'un père alcoolique et violent, n'est pas un quotidien ordinaire pour une jeune fille de quinze ans. Pourtant, Shell ressent profondément la joie d'exister. D'où lui vient cette force incroyable qui la sauve, même quand l'Irlande entière la montre du doigt ?





- Un petit extrait -

« Trix, Jimmy, Shell : ils formaient une rangée silencieuse qui remontait vers le champ pour aller ramasser les pierres. Toujours ensemble. Libres. Protégés par la lumière éternelle de maman. Et leur vie de déployait devant eux, autour d'eux et hors d'eux tandis qu'ils hurlaient sur la grande roue comme trois hiboux devenus fous. Quelle joie d'exister, quelle joie ! »

- Mon avis sur le livre -

Lorsque j’étais au collège, face à mon inclination affirmée pour la littérature de l’imaginaire, la professeure documentaliste n’avait de cesse de me conseiller des ouvrages appartenant à d’autres genres afin d’élargir mes horizons littéraires. Si dans un premier temps j’étais quelque peu ennuyée par cette obstination à me détourner de ma fantasy adorée, j’ai très rapidement changé d’avis et mon indignation s’est aussitôt transformée en reconnaissance : non seulement les ouvrages qu’elle me conseillait alors me plaisaient énormément, mais je me rendais compte que diversifier mes lectures allait me permettre d’avoir bien plus de choix (je lisais alors presque un livre par jour et dévalisais donc le stock du CDI à vitesse grand V). C’est donc grâce à elle que je me suis retrouvée avec ce petit livre bouleversant entre les mains, roman que je relis assez régulièrement malgré les larmes qu’il entraine à chaque fois …

Cela fait déjà un an que la mère de Shell, quinze ans, est morte. Un an qu’elle tente d’élever son petit frère, Trix, et sa petite sœur, Jimmy. Un an que son père s’est réfugié dans la boisson pour noyer sa tristesse et la religion pour expier ses péchés. Mais malgré ce quotidien difficile, malgré la pauvreté dans laquelle ils sont plongés, malgré les sautes d’humeur de son père et le grand vide qui remplace désormais sa foi, Shell est heureuse, à sa manière. Avec Bridie, sa meilleure amie, et Declan, un garçon du village qui l’attire autant qu’il l’agace, la jeune fille fait l’école buissonnière plus souvent qu’à son tour et parcourt la nature désolée qui entoure le sinistre petit village de Coolbar. Tout bascule le jour où un nouveau prêtre, le Père Rose, rejoint la paroisse. Grâce à lui, Shell retrouve le chemin de la foi … foi dont elle aura bien besoin pour survivre aux événements qui vont s’enchainer dans sa vie, tandis que Declan occupe une place de plus en plus importante dans son cœur et que Bridie s’éloigne de jalousie.

Il est incroyablement difficile de parler de cet ouvrage : tout son intérêt se situe dans un chamboulement majeur que le résumé n’évoque pas et que j’ai préféré garder sous silence également, car le dévoiler risquerait de gâcher la surprise de ceux qui désireraient découvrir ce livre. Il est rare que je lance des exhortations à la lecture si tôt dans mes chroniques, mais aujourd’hui je vous le dis dès à présent : lisez ce livre ! Il s’agit d’un récit poignant, bouleversant et déchirant, qui aborde avec énormément de justesse et d’émotions une thématique sensible peu présente en littérature jeunesse, sans jamais tomber dans les clichés ou dans le pathétisme. Pour écrire cette histoire, l’auteure s’est inspirée de divers faits réels, et cela se ressent : l’histoire fait trop « réelle » pour que cela en soit autrement. A travers ce livre, l’auteure raconte une multitude d’histoires, toutes semblables mais pourtant toute uniques, comme cela est illustré dans le roman. Et en suivant Shell, ce sont toutes les jeunes filles dont elle est inspirée que le lecteur rencontre. Et alors, lorsque l’on prend conscience de cela, il est encore plus difficile de rester indifférent face aux malheurs qui s’abattent sur cette adolescente plus perdue et fragile qu’elle ne le montre. Shell est une héroïne très attachante parce qu’humaine, elle fait des erreurs et les regrette, elle est simple et naturelle, et je me suis finalement très rapidement identifiée à elle …

Beaucoup de lecteurs regrettent la forte présence de la religion dans ce récit … mais sans elle, l’histoire n’aurait plus aucune raison d’être. Car cet ouvrage pose également de grandes questions sur la vie, sur la mort, il évoque le deuil et la quête de sens. Pour Shell comme pour bien d’autres âmes en ce monde, la religion est la réponse à ces interrogations, à ces craintes, à ces doutes. Il est intéressant de constater que son rapport à la religion évolue au fil du temps et des événements : elle qui avait perdu la foi suite à la mort de sa mère va la retrouver à un moment clé de son existence, car elle a besoin de quelqu’un vers qui se tourner et que seul Dieu a répondu à cet appel qu’elle n’avait pas eu conscience de lancer. La foi fait partie intégrante du personnage, et sans cet aspect, Shell ne serait plus la même, et l’histoire non plus. Alors oui, ce roman parle de la religion catholique, il évoque même les « crises spirituelles » des prêtres qui doutent - ce qui suffit à prouver qu’il ne s’agit pas d’une apologie pure et simple du catholicisme -, mais je vous invite vraiment à ne pas laisser cela vous rebuter ! Il faut ainsi resituer l’histoire dans son contexte historique et géographique : l’intrigue prend place dans un petit village du sud de l’Irlande en 1984 … forcément que la religion influence fortement le quotidien des habitants de Coolbar !

Sans un cri fait partie de ces romans à la narration impressionnante qui transportent littéralement le lecteur au cœur de l’histoire. Dès la première phrase, le contexte est posé : Coolbar est à la fois un village désolé où la misère règne en maitre et une communauté conservatrice où l’on juge sans savoir et où l’on accueille difficilement la nouveauté. Les mots se transforment en images, en sons et en sensations pour plonger le lecteur dans cette ambiance si particulière, à la fois pesante et légère. Car Shell, en dépit des responsabilités que la vie a posées sur ses frêles épaules, reste avant tout une adolescente insouciante, une enfant qui a grandi trop vite. Pour ne pas se laisser abattre par ce quotidien monotone et cruel, elle s’évade dans un imaginaire qui n’appartient qu’à elle, dans des rêveries éveillées qui subliment la réalité. Bien souvent, Shell ressent la présence de sa mère, elle la voit à ses côtés, comme pour la guider ou la soutenir, et ces apparitions furtives lui donnent la force de supporter cette existence difficile. Sans jamais tomber dans le fantastique, ces illusions, ces songes, apportent une touche d’onirisme bienvenu pour contrebalancer la noirceur du drame qui se joue devant nos yeux. Une bouffée d’air frais pour le lecteur qui risquerait de se laisser submerger par l’émotion.

En bref, Sans un cri est un roman coup de poing, un récit qui vous prend aux tripes, qui vous accroche dès la première phrase pour ne vous lâcher qu’à la dernière, une histoire qui vous bouleverse et qui vous fait relativiser. Je ne comprends pas pourquoi cet ouvrage est si peu connu, ni pourquoi il semble si peu aimé par son lectorat : il a à mes yeux toutes les qualités que l’on peut demander à un livre. Des personnages uniques, intéressants, attachants, à la personnalité riche et complexe. Une thématique puissante, rarement abordée en littérature jeunesse, et de plus particulièrement bien exploitée. Une histoire d’un réalisme rare, qui mêle enquête policière et récit initiatique, qui s’inscrit dans un cadre historique singulier et qui captive le lecteur du début à la fin. Une plume fantastique et poétique qui fait vivre le récit et vibrer le cœur du lecteur. C’est donc un livre que je conseille très volontiers … mais avec précaution. C’est un ouvrage dur et éprouvant qui devrait être réservé aux jeunes adultes, pas avant seize ans je pense : l’ayant moi-même découvert bien plus jeune, j’ai eu du mal à m’en remettre la première fois … et n’avait de plus pas saisi tous les enjeux de l’intrigue. Une lecture très intéressante mais impitoyable.

Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus d’explications sur cet article)

2 commentaires:

  1. Je l'avais lu lorsque j'étais au collège/lycée et il m'avait fait une forte impression. Je le relirai avec plaisir maintenant que je suis plus adulte.

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    1. Tu verras, l'expérience de lecture n'est pas du tout la même une fois qu'on a grandi !

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