Editeur : Plon
Nombre
de pages : 247
Résumé : « Je vis avec l'autisme », écrit Josef
Schovanec, soulignant ainsi ce qu'il considère plus comme une qualité que comme
un handicap. Ce voyageur passionné des civilisations anciennes maîtrise
plusieurs langues étrangères, est diplômé de Sciences Po et possède un doctorat
en philosophie. Il récuse pourtant les attributs qu'on lui prête ceux d'un
autiste « génial » aux capacités intellectuelles extraordinaires pour évoquer
plutôt, avec beaucoup d'humour et de sensibilité, ces « petits » problèmes qui
font le quotidien d'un autiste Asperger. Il revient aussi sur son parcours
psychiatrique.
- Un petit extrait -
« Chaque être humain a son univers, son monde intérieur, et s’il ne l’avait pas ce serait extrêmement triste. Il est toutes sortes de tentatives dans notre monde moderne de mettre fin à ce jardin intérieur, une pression publicitaire, médicale, économique de supprimer cette parcelle non productive, cette perte de temps, cette anomalie. »
- Mon avis sur le livre -
Je pense que vous l’aurez tous remarqué :
depuis quelques semaines, je lis énormément d’ouvrages sur l’autisme. C’est que
j’ai eu les yeux légèrement plus gros que le ventre lors de mon dernier passage
à la bibliothèque du CRA (Centre Ressources Autisme) … La prochaine fois,
je me limite à trois ouvrages, afin de pouvoir jongler entre emprunts, services
de presse et lectures personnelles ! Toutefois, je ne me lasse pas de
découvrir, à travers divers romans et témoignages, plusieurs facettes de ce
handicap encore bien méconnu dans notre pays. Quand on pense à l’autisme, on
pense soit à ces gamins qui se tapent la tête contre les murs en hurlant nuit
et jour sans jamais apprendre à parler, soit à ces « singes savants »
capables de débiter des centaines de décimales de pi ou connaissent le nom de
toutes les étoiles déjà découvertes. Rares sont ceux qui savent que l’autisme,
ce n’est pas cela, ou du moins pas que cela. Que l’autisme est pluriel … qu’il
y a, finalement, autant d’autismes que d’autistes, d’une certaine manière. Chaque
lecture apporte donc une lumière différente sur cette particularité qu’est l’autisme
…
Dans cette autobiographie, mêlant anecdotes
et réflexions, Josef Schovanec offre sa propre expérience et sa propre vision
de l’autisme, précisant à de très nombreuses reprises qu’il n’est ni
spécialiste dans ce domaine ni l’unique « référence » à avoir lorsque
l’on tient à ce documenter sur l’autisme. Il raconte son enfance et son
adolescence, sa scolarité compliquée, il raconte ses déboires avec le monde de
la psychiatrie, les très nombreux diagnostics erronés, les traitements
médicamenteux toujours plus lourds et qui font plus de mal que de bien. Il
raconte également son quotidien, sa « cohabitation » avec l’autisme, les
astuces et stratégies qu’il a progressivement mises en place pour « vivre
avec l’autisme » : non pas s’en guérir, non pas s’en séparer, juste s’adapter
à ce monde qui n’est pas adapté à lui, puisque le contraire ne semble pas
possible …
Josef Schovanec critique en effet très
fortement le concept de « normalité » et met en garde contre les
dangers de la sacro-sainte « normalisation ». Normaliser, c’est « rendre
normal ce qui ne l’est pas ». Il faut ainsi « éduquer » les
personnes avec autisme afin qu’elles puissent vivre une vie « normale ».
Cela part généralement d’un bon sentiment, mais cela soulève toutefois de très
nombreuses questions. Premièrement, qu’est-ce que la normalité ? Dans un
monde fictif où la majorité des personnes seraient autistes, les rares individus
à ne pas l’être seront les anormaux. La normalité est relative, et la norme est
profondément subjective. Aussi, avons-nous réellement raison de vouloir faire
rentrer dans le moule de la « normalité » les personnes avec autisme,
ou bien cédons-nous seulement à notre besoin maladie d’éradiquer toute
différence ? (Pourquoi ne peut-on pas concevoir une famille suffisamment
unie pour que parents et enfants vivent harmonieusement et durablement ensemble ?
Pourquoi vouloir à tout prix que le jeune adulte « prenne son indépendance » si
ce n’est pas cela qui le rend heureux ? Pourquoi l’absence de conflits
parents-enfants est-elle considérée comme « anormale » et même problématique,
alors-même qu’une famille est censée être construite sur l’amour ? …)
Deuxièmement, est-ce réellement aider les
personnes avec autisme que de vouloir les faire entrer dans le moule ?
Bien évidemment, l’objectif est qu’elles puissent vivre dans le monde plus
facilement, et ça c’est un objectif parfaitement louable. Toutefois, Josef
Schovanec aborde le thème de la souffrance. Non pas de la souffrance que fait naitre
l’autisme - lorsqu’il est chez lui, lorsqu’il n’a pas besoin de réfléchir pour
se comporter « normalement », il ne souffre pas de son autisme -,
mais bien de la souffrance que font naitre ces tentatives de normalisation. On
cherche ainsi à « éduquer » les personnes avec autisme afin de leur
apprendre à « vivre normalement » - c’est-à-dire quitter ses parents,
emménager seul, travailler, se marier, avoir des enfants. Et on s’extasie au
moindre progrès, on congratule le thérapeute d’avoir « réussi ce miracle »
(d’avoir réussi à transformer une personne anormale en personne visiblement
normale). Et à côté de cela, la personne avec autisme souffre bien plus qu’avant :
l’angoisse et la fatigue nées des efforts pour réussir les exercices demandés
sont plus terribles encore que ne l’était le problème initial (les personnes
avec autisme ne souffrent pas forcément de leur solitude … au contraire, elles
recherchent ce calme, cette sérénité). On voit le résultat et non pas la violence
intérieure qui accompagne nécessairement les « progrès » tant fêtés …
Est-ce vraiment une bonne chose ? Josef Schovanec n’en dit pas plus, il se
contente de poser la question.
Cet ouvrage, donc, n’est pas une simple
autobiographie dans laquelle l’auteur se contenterait de raconter sa vie de façon
purement chronologique. Ce livre n’est pas non plus un simple témoignage sur l’autisme.
Il ne cherche ni à susciter l’admiration face à son « intelligence
hors-norme », ni au contraire à faire naitre la pitié face à ses
difficultés. Bien sûr, il évoque l’angoisse que fait naitre la perspective de
prendre un transport en commun, de répondre au téléphone, il explique les
nombreux questionnements que font naitre l’envoi d’un mail (quelle formule de politesse utiliser ?),
la ponctualité (être en avance, oui, mais de combien de temps ?) … Il se
livre complétement, sans honte de dévoiler ses faiblesses, sans crainte de
critiquer individus et institutions s’il juge que cela est nécessaire. Ainsi, par
l’intermédiaire de ces anecdotes, racontées avec simplicité et honnêteté, Josef
Schovanec questionne le monde qui l’entoure. Et c’est bien là la richesse de
cet ouvrage : ne pas se cantonner à l’autisme - tout comme il ne faut pas
réduire l’auteur à son diagnostic - mais ouvrir vers d’autres réflexions, d’autres
horizons …
En bref, vous l’aurez compris, ce livre est
vraiment très intéressant. Selon moi, il peut s’adresser à la fois à ceux qui
souhaitent en savoir plus sur l’autisme et à ceux qui aiment s’interroger sur
notre société et ses travers. J’ai particulièrement apprécié l’humour de l’auteur,
qui ne conviendra peut-être pas à tout le monde mais qui m’a fait éclater de
rire à de très nombreuses reprises. La plume de Josef Schovanec peut être légèrement
déconcertante, mais en tant que grande amoureuse de la langue française, j’ai
beaucoup aimé ces belles et longues phrases, complètes et riches. Certains
trouveront peut-être ce style froid, impersonnel, mais je trouve pour ma part
qu’il est au contraire très vivant ! Je suis ravie d’avoir enfin lu ce
livre - dont j’ai beaucoup entendu parlé ces dernières années - et compte bien
découvrir le reste des ouvrages publiés par Josef Schovanec !
Ce livre
a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus
d’explications sur cet article)
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